Son tennis semble dessiné au pinceau : pour sa première demi-finale à Roland-Garros, Lorenzo Musetti fascine.
Il y a des joueurs qui frappent fort. D’autres qui courent vite. Et puis il y a ceux qui sculptent le jeu avec grâce. Lorenzo Musetti, lui, peint le tennis comme on caresse une toile : avec style, finesse, et cette audace rare qui transforme chaque échange en œuvre d’art.
Lorenzo Musetti, l’élégance née à Carrare
Ce n’est peut-être pas un hasard si Lorenzo Musetti vient de Carrare, ce berceau de marbre blanc où Michel-Ange choisissait ses blocs pour tailler ses chefs-d’œuvre. Sur le court, Musetti ne cogne pas, il cisèle. Chaque revers à une main qu’il déclenche ressemble à une estampe. Il ne se contente pas de gagner des points, il les fait vivre. À Roland-Garros, face à Carlos Alcaraz, l’Italien entre dans le carré des artistes — une demi-finale méritée pour celui que l’on regarde autant pour ses coups que pour ce qu’ils racontent.
Il le dit lui-même : il cherche le beau, partout, même en dehors des lignes. C’est une manière d’être. Sa manière d’exister. « Quand on est italien, on est élégant », glissait-il dans un sourire après avoir écarté Frances Tiafoe. Son style rétro, presque hors du temps, tranche dans un circuit dominé par la puissance et la vitesse. Musetti prend à contre-pied les schémas, brise les automatismes. Il invente. Un amorti improbable, un revers décroisé sans prévenir, une volée délicate quand l’échange semblait devoir s’éterniser : il joue avec la lumière comme un peintre joue avec les ombres.
Un tennis instinctif, poétique… parfois trop
Mais voilà, jouer avec les émotions, c’est prendre le risque de se brûler. Ce qui fait de Lorenzo Musetti un joueur si fascinant, c’est aussi ce qui l’expose. L’inspiration ne se commande pas. Parfois, elle l’embarque dans des chemins de traverse. Comme mardi, lorsqu’un moment de frustration l’a poussé à envoyer une balle sur une juge de ligne. Parce qu’être un artiste, c’est aussi laisser parler sa part d’ombre. La rage, la démesure, l’imprévisible.
Guy Forget le résume bien : Musetti, c’est le tennis version jazz. Une note peut surgir de nulle part, mais il faut savoir retomber juste. L’Italien y travaille. Il apprend à canaliser : à trier, à ne pas tout tenter, à penser l’instant sans renoncer à l’instinct. Dans un circuit dominé par des machines bien huilées, sa démarche demande une force mentale rare. Moins robot, plus humain. Moins prévisible, plus vivant. Là où Sinner impose une logique implacable, Musetti amène l’accident sublime. Deux Italiens, deux visions. Le feu et la glace. L’un construit, l’autre improvise.
Et ça ne laisse personne indifférent, pas même le numéro 1 mondial. Sinner, glacé en apparence, fond d’admiration quand il parle de son compatriote. Il dit être son premier fan. Qu’il regarde ses matchs, fasciné. Qu’il aime son tennis, peut-être même plus que le sien. C’est rare, un champion qui reconnaît la beauté chez l’autre. Mais Musetti n’est pas n’importe quel joueur. Il touche quelque chose de plus profond que le simple score.
Un artiste en pleine maîtrise de son art
Cette saison, Lorenzo Musetti ne se contente plus de séduire. Il enchaîne. Finale à Monte-Carlo, demies à Madrid, à Rome, et maintenant ce dernier carré à Paris. Il n’est plus seulement un esthète applaudi, il devient un danger assumé. Il a gardé la main douce et le revers léché, mais il y a plus de poids dans son jeu, plus de constance, plus de lucidité. Et cette maîtrise nouvelle ne trahit pas son style, elle l’élève.
Fabrice Prenat, coach et peintre, voit en lui un sujet parfait pour un tableau de Léonard de Vinci. Détail, précision, élégance un peu précieuse. Ça colle. Musetti, c’est du classicisme avec une touche de folie. Il pourrait très bien poser en tenue Renaissance, col amidonné, raquette en main. Mais sur le court, il vit avec son temps. Il ose, il varie, il fait lever les foules. Et quand il lâche ce revers le long de la ligne, il se passe quelque chose d’unique. Pas juste un point : une impression, un frisson.
Il est rare qu’un joueur réussisse à incarner à la fois l’élégance, la créativité et la montée en puissance. Mais Lorenzo Musetti, en ce moment, marche sur cette ligne fine entre beauté et efficacité. Il ne renonce à rien. Et c’est peut-être ce mélange-là, la maîtrise et l’émotion, qui fait de lui, enfin, un vrai candidat pour aller encore plus haut.