Transformer du plomb en or n’est plus un mythe : des chercheurs du CERN l’ont fait, mais à un prix délirant.
C’est le genre d’histoire qu’on classe instinctivement avec les légendes, les grimoires, les vieux manuscrits d’alchimistes. Sauf que là, ce n’est pas un mythe. Encore moins un conte. À Genève, des chercheurs du CERN ont bel et bien réussi à transformer le plomb en or. Pas dans une métaphore, ni dans un roman. Dans un accélérateur de particules. Avec des chiffres, des machines et une rigueur scientifique implacable. Le rêve fou du Moyen Âge a brièvement existé… mais à une échelle tellement infime qu’on ne risque pas de ruiner le marché de la joaillerie.
Transformer le plomb en or : quand la science percute l’alchimie
C’est au LHC, le Grand collisionneur de hadrons, que la magie opère. On parle ici d’un anneau de 27 kilomètres sous terre. On y fait tourner des noyaux de plomb à des vitesses qui frôlent celle de la lumière. L’objectif premier ? Observer la matière dans l’état où elle se trouvait juste après le Big Bang. Eh oui, ce moment de feu, de chaos, d’expansion brutale. Mais ces expériences ont révélé un effet secondaire assez fou : la transmutation nucléaire.
Le plomb, élément chimique 82, est un poids lourd de la table périodique. L’or, lui, porte le numéro atomique 79. Trois protons d’écart. C’est tout. Mais c’est énorme, parce que dans un noyau, les protons tiennent ensemble avec une force colossale. Les faire sauter n’est pas une mince affaire. Pourtant, quand les noyaux de plomb se frôlent à très haute énergie, leur champ électromagnétique se déforme. Il s’écrase, littéralement, comme une crêpe sous pression. Et là, dans ce court instant de chaos, un coup de fouet énergétique suffit à arracher trois protons à un noyau. Résultat : il passe de 82 à 79 protons. Vous voyez venir ? C’est exactement ce qu’il faut pour transformer le plomb en or.
Mais attention : l’alchimie moderne n’est pas rentable ni stable. Le coût de construction ? Environ 4 milliards d’euros. On parle d’un or qui n’existe qu’une fraction de seconde, le temps d’un soupir à l’échelle atomique. Ces noyaux d’or produits dans les collisions s’écrasent aussitôt contre les parois du détecteur, explosent, se fragmentent. Ils vivent, meurent et repartent en particules libres. C’est fascinant, mais inutile si vous aviez prévu d’en faire une bague.
Une fraction d’or, des milliards de fois
Entre 2015 et 2018, les scientifiques de l’expérience ALICE ont scruté les collisions comme des horlogers traquent les mouvements d’un mécanisme invisible. Grâce à un détecteur ultra-précis, les calorimètres à zéro degré, ils ont pu mesurer chaque proton éjecté, chaque moment où un noyau de plomb s’est vu dépouillé de ses trois précieuses charges positives. En analysant ces données, ils ont pu confirmer l’incroyable : de l’or a été fabriqué. À la main. Ou plutôt, à la vitesse de la lumière.
Le chiffre est vertigineux : 86 milliards de noyaux d’or détectés. Dit comme ça, on imagine une mine. Mais en réalité, cela représente… 29 trillionièmes de gramme. C’est infime. Presque risible à l’échelle humaine. Et pourtant, sur le plan physique, c’est immense. Car cela prouve que le processus est réel, reproductible, mesurable. Pas un rêve, pas une parabole alchimique. Juste un fait.
Ce qu’il faut retenir, c’est que l’idée de transformer le plomb en or n’est plus une figure de style. C’est un phénomène observé, modélisé, documenté. Il ne sert à rien sur le plan économique, il ne rendra pas riche. Mais il nous rappelle à quel point les lois de l’univers sont subtiles, imprévisibles parfois, et capables de donner vie aux fantasmes les plus anciens.
Le plus beau, peut-être, c’est que cette découverte n’était même pas le but de l’expérience. C’est un effet secondaire, un petit miracle au milieu du chaos des particules. Comme si, en fouillant l’origine de l’univers, la science avait croisé par hasard un vieux rêve d’alchimiste et décidé, juste une fois, de le rendre réel.