En Chine, de plus en plus de jeunes claquent tout avant 30 ans pour vivre au calme dans des « maisons de retraite ».
Ils ont 25 ou 30 ans, et vivent comme s’ils en avaient 70, volontairement. En Chine, un vent étrange souffle sur la jeunesse. Pas une révolution tapageuse, plutôt un décrochage silencieux, presque poétique. Fatigués, lessivés par la pression des grandes villes, de jeunes adultes partent s’installer dans des lieux qui portent un nom à peine croyable : maison de retraite pour jeunes. Ils n’ont ni canne ni pension, mais cherchent déjà à sortir du jeu. Leur quotidien ? Du thé, du silence, des échanges vrais, parfois un chien à caresser. Des pauses longues, revendiquées, loin du tumulte, loin du rendement. Rien à prouver. À 29 ans, Wang Dong a quitté l’hôtellerie pour rejoindre une de ces maisons du repos précoce, près d’un lac dans le sud-ouest du pays. Pas de plan. Juste l’envie de respirer, enfin.
La vie en pause dans une maison de retraite pour jeunes
Le concept fait sourire, parfois grincer. Mais il explose sur les réseaux chinois. Tapez maison de retraite pour jeunes, et vous verrez apparaître des lieux calmes, aux allures de colocation zen, où l’on paie une chambre pour quelques semaines, parfois des mois. Pas de programme huilé, juste des ambiances à partager. Des ateliers de thé, des promenades, des repas faits maison, des silences acceptés. Dali, ville tranquille du Yunnan, est devenue un petit épicentre de cette tendance douce. Là-bas, les jeunes débarquent, exténués, et repartent un peu plus solides, parfois pas du tout pressés de retourner dans le grand manège du travail.
Yan Bingyi, 37 ans, gère l’un de ces lieux. Il choisit ses résidents comme on compose une table : ceux qui savent écouter, discuter sans forcer, laisser des silences vivre. Quand les journalistes de l’AFP sont passés, la cour était pleine de jeunes, téléphone en main, plaisanteries qui fusent, chien qui se faufile. Yan prépare les repas, propose du camping, rien de bien spectaculaire, mais ça tient debout. Lui aussi a connu le poids invisible de la pression. Trop, tout le temps. Il en est sorti comme ça : en créant une maison de retraite pour jeunes, pas comme un business, mais comme un refuge. Et les autres suivent. La fatigue est collective. Et de moins en moins honteuse.
Travail, rentabilité, épuisement : la jeunesse décroche
Tout cela n’a rien d’un accident. Ce mode de vie répond à une pression qui ne se relâche jamais. Depuis la fin de la pandémie, l’économie chinoise patine, le chômage des jeunes s’envole. Plus de 15 % des 16-24 ans n’ont pas de boulot. Et ceux qui en ont ne tiennent pas toujours. Beaucoup finissent par lâcher. Le phénomène a même ses mots : tangping (s’allonger), bailan (laisser pourrir). Une manière de dire : stop. Assez de la course, assez de l’amertume. Même Xi Jinping a dû réagir. D’abord dur, appelant les jeunes à « manger l’amertume », il parle désormais de qualité de vie, de meilleurs emplois. Trop tard pour certains. Ils sont déjà partis.
Les critiques ? Évidemment qu’il y en a. Certains voient dans ces retraites précoces une paresse assumée. D’autres pensent que tout ça, c’est du marketing. Un joli nom pour habiller une fuite. Mais ces séjours ont souvent un effet rebond. On s’y repose, on s’y reconstruit, puis on repart. Pas vers une carrière brillante à Pékin forcément, mais vers autre chose. Un projet dans un village, une reconversion, un choix plus lent, plus clair. D’ailleurs, tout le monde ne reste pas dans sa maison de retraite pour jeunes à vie. Chen Qiankun, 21 ans, a quitté Canton pour aider à revitaliser une bourgade près de Pékin. Il forme des créateurs de contenus, organise des ateliers. Pour lui, ce n’est pas un renoncement, c’est une redirection. Et il le dit lui-même : « Vouloir s’allonger, ça arrive. Ce qui compte, c’est de ne pas s’endormir pour de bon ».
On n’est plus dans le mythe de la réussite à tout prix. Ce que ces jeunes mettent en avant, c’est autre chose. La santé mentale, l’équilibre, le besoin de répit. Quitter la ville, poser les armes, réapprendre à vivre sans avoir le souffle court. Et si ces pauses n’étaient pas une fuite, mais une résistance ? Une manière de dire non, sans cri, sans violence. Juste en partant s’asseoir, là, dans une maison de retraite pour jeunes, et en regardant les montagnes respirer.